Presque tous les petits écoliers de la Martinique, et j’en suis, ont dû réciter les poèmes de Daniel Thaly. Si je trouve le poète un brin mièvre et gnangnan, je dois reconnaître que ces vers ne mentent pas. Enfin, ça dépend de quand et pour qui…
Faisons un grand bon en arrière en 1639. Daniel Trézel, un marchand de Rouen d’origine hollandaise est mandaté par la Compagnie des Îles d’Amérique afin de développer à la Martinique un business d’un genre nouveau. Il se fait livrer quelques esclaves noirs d’Afrique pour cultiver de la canne à sucre et installe le premier moulin à broyer la canne à sucre. L’ambition est de suivre l’exemple des colons anglais à La Barbade qui font fortune dans la production et le commerce du sucre.
Ce n’est que 20 ans après, que l’industrie sucrière décolle réellement et supplante le tabac, le cacao et le café. Plus que de tabac ou d’indigo, c’est de sucre que l’Europe a envie : douceurs, desserts, entremets, pâtisseries et sucreries déferlent sur les tables royales et régalent la noblesse. Parce que le sucre est un produit de luxe, son commerce devient particulièrement lucratif. Cet engouement vaudra aux Antilles le doux surnom d’Îles à Sucre.
Mais voilà, la canne à sucre est une culture violente et vorace : il lui faut plus de terres et de main-d’oeuvre. Parce que les travailleurs engagés venus de France pour 36 mois ne suffisent plus, l’industrie sucrière devient rapidement indissociable de la traite négrière dejà pratiquée par les Portugais coutumiers des côtes africaines.
Alors on finance, on affrète, on charge, toutes sortes de navires qui partent d’Europe avec des armes, des étoffes et des babioles qu’on déverse sur les côtes d’Afrique en échange de captifs livrés par quelques royaumes et négriers africains. Les cales pleines de leur marchandise humaine, les navires traversent l’Atlantique pour la vendre aux Antilles avant de reprendre la mer direction l’Europe avec cette fois-ci du sucre et quelques autres « épices ».
Dans un souci de rentabilité, on entasse et on serre les corps à fond de cale. Le tribut en vies humaines est très lourd : le taux de mortalité lors de ces traversées qui durent 2 à 3 mois, est de 10 à 20% et peut parfois monter jusqu’à 40%.
On estime entre 145 000 et 179 000 le nombre d’esclaves vendus aux colons martiniquais. (Bernard Petitjean Roget, http://traite-martinique.blogspot.fr), un chiffre qui ne prend pas en compte le nombre de ceux morts en captivité, avant le départ d’Afrique, et pendant la traversée…
C’est le fameux commerce triangulaire qui fait la fortune des colons et des ports de Bordeaux, Nantes et La Rochelle, et l’infortune de millions d’Africains. Les grands ports anglais, portugais, hollandais et espagnols sont aussi de la partie.
Le filon est bien trop juteux pour s’embarrasser de considérations morales. Le système est légalisé, et s’il était besoin, le clergé tient tout prêt un chapelet d’arguments pour justifier le commerce. Hallelujah !
La société s’organise autour de l’essor des champs de cannes et de l’industrie sucrière. Plus question de cabanes couvertes de feuillages, l’habitat est conçu pour durer, les structures familiales prennent forme, on peut même parler d’art de vivre avec l’avènement du « style colonial ». Les maisons de maître prennent plus d’importance et sont plus élaborées avec autour, leurs champs, leurs installations techniques et leurs rues cases-nègres.
En 1870, on recense près de 570 plantations de canne à sucre à la Martinique.
Aujourd’hui, si la canne est toujours très présente à la Martinique, il ne reste plus qu’une seule sucrerie. C’est l’usine du Galion.
C’est le rhum qui a pris le dessus.
Comment en est-on arrivé là ?
Vous le saurez en lisant l’épisode : Du Sucre au Tafia
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