La Grande Insurrection du Sud de la Martinique en 1870
A une époque où le #/hashtag n’était pas encore un symbole de ralliement,
Les femmes dont je vais vous parler ici ont incarné le #MeToo.
Non pas sur le mode de la victime qui ne veut plus se taire,
Mais sur le mode de la battante qui ne veut plus (se) laisser faire.
Plutôt qu’un #JeQuitteLaSalle, elles ont opté pour un #OccuponsLaScène de l’Histoire.
Ce pour quoi des hommes ont été célébrés, elles ont su le faire aussi, avec ou sans eux.
Mais parce que l’Histoire est trop souvent écrite par les plus forts et par les hommes aussi,
Si certaines sont devenues des légendes, la plupart ont sombré dans l’oubli,
Bien qu’elles aient profondément marqué les esprits de leur époque.
On évoque souvent l’esclavage sur le mode passif et victimaire. C’est bien de le reconnaître.
Plus rarement sur le mode de la résistance et de la révolte. Ce serait bien de le célébrer aussi.
Toussaint Louverture, Louis Delgrès, Joseph Ignace…. seulement quelques noms d’hommes nous viennent en mémoire,
Alors les femmes, pensez-vous !
Pourtant, près de la moitié des nègres marrons dans la Caraïbe étaient en fait des marronnes.
En cette Journée Internationale des Droits des Femmes,
Levons-nous pour (re)connaître celles qui se sont levées avant nous !
Lumina est de ces fortes têtes qui ne savent pas rester à la place qu’on leur a désignée ou plutôt imposée, même si pour ça, elle devait payer le prix fort. Elle deviendra le symbole d’un grand épisode de l’histoire sociale et politique de la Martinique : l’Insurrection du Sud.
Marie-Philomène Sophie Roptus naît au Vauclin le 5 novembre 1848. L’esclavage est aboli mais dans les faits rien n’a changé ou si peu : la société est profondément raciste et inégalitaire. Les terres restent aux mains des blancs. Pas de liberté d’aller et venir pour les noirs assujettis à des règlements qui les maintiennent dans l’ignorance et l’infériorité sociale.
Lumina est tour à tour couturière, journalière, vendeuse sur les marchés. Ça vous forge un caractère. Ça vous nourrit une colère sourde qui ne demande qu’à exploser.
Justement, nous sommes en février 1870, et une vague de mécontentement agite le sud de l’île. Léopold Lubin, jeune Noir entrepreneur de travaux publics est condamné à 5 ans de bagne et une amende pour avoir voulu réparer un affront, une affaire d’honneur qui l’oppose à Augier de Maintenon, fonctionnaire et représentant de l’Etat. D’ailleurs, un des membres du jury exclusivement blanc, Louis Cléo Codé, propriétaire de l’habitation La Mauny, se prévaut d’avoir été instrumental dans la condamnation du jeune Lubin. On le connait bien pour avoir hissé devant son habitation un drapeau blanc à fleur de lys, symbole d’esclavagisme et de royalisme.
C’en est trop. Le 22 septembre, une foule grossissante marche sur l’habitation La Mauny. Parmi eux, Lumina Sophie, enceinte de deux mois. A 21 ans c’est une personnalité charismatique qui sait mobiliser hommes et femmes et elles sont nombreuses les femmes. Il y a Madeleine Clem, Rosannie Soleil… Au-delà de la colère, les revendications sont sociales et politiques, on veut une redistribution des terres, et pourquoi pas créer une république comme Haïti ? Et il y a aussi la peur de voir revenir l’esclavage comme en 1794 : plus de 20 ans qu’il est aboli et on n’est toujours pas libres…
En 3 jours, 25 habitations sont incendiées. Louis Cléo Codé est pourchassé et abattu. La répression de l’armée est rapide et implacable : 500 arrestations et des morts difficiles à dénombrer, peut-être une centaine. Un an après, le tribunal prononce 90 condamnations au bagne, 8 à mort
Lumina, arrêtée elle aussi, a droit à un traitement assez particulier. La sanction est lourde : elle est condamnée au bagne à perpétuité, mais c’est moins l’activiste que la femme qui n’a pas su rester à sa place que l’on condamne. Le gouverneur de l’époque, Charles Menche de Loisne la qualifie de “reine de la compagnie, la plus féroce, la plus terrible des chefs de bande, la maniaque de l’incendie.” A une autre époque on l’aurait traitée de folle hystérique…
En avril 1871, elle accouche d’un petit garçon qui décédera en prison 14 mois plus tard.
En décembre de la même année, Lumina est déportée en Guyane au bagne de Saint-Laurent-du-Maroni. Avec l’espoir d’être libérée peut-être, probablement sous la contrainte, elle épouse en août 1877 Marie Léon Joseph Félix, un ancien bagnard. Mais au bagne, les conditions de vie sont exécrables et l’espérance de vie est courte. Elle meurt 4 mois plus tard. Elle avait 31 ans.
Si vous en connaissez d’autres, faites-le moi savoir, ça vaut bien un article dans le blog de Sugarcanelane !
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7 comments
Très bel article ! L’idée de cette série est excellente.
Je parcoure toujours avec plaisir.
Vivement la suite.
Un grand merci. Ces femmes sont malheureusement trop souvent absentes de nos livres d’histoire.
Très bel article que j’ai eu plaisir à parcourir et à partager.
Merci beaucoup. Faire des recherches sur ce sujet a également été un vrai plaisir pour moi, et ça fait du bien de découvrir ces femmes de Martinique, fortes et engagées.
Je me suis aperçue qu’en fait je ne savais pas grand chose de notre histoire et encore moins sur les femmes des Antilles. ça m’a fait du bien de les découvrir et de le partager.
Cecilia L.
Oui, rendons aux femmes le courage et la place qu’elles ont occupé dans l’histoire. Mon roman “Cent treize vies + une” s’est largement inspiré d l’histoire de la Mulâtresse Solitude et de ses beaux yeux vairons… Le titre (Cent treize vies + une) quant à lui est un hommage au “Cap 110” sculptures érigées pour ne jamais oublier l’esclavage. Tout un chapitre se déroule en Guadeloupe, Je vous invite à le découvrir (Editions “Les presses littéraires”).
Pascale Oriot
Bonjour Pascale,
Merci beaucoup pour ce commentaire et désolée pour la réponse tardive. Je vais lire votre ouvrage.
Cecilia L.