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Le Bain Démarré, une tradition antillaise

– Martinique –

Traditions

Le Bain Démarré

De tous les symboles d’un nouveau départ, le mois de janvier est bien le plus significatif. C'est la saison des “bonnes résolutions”.
En Martinique — et sans doute dans le reste des Antilles — la transition peut tenir du rituel. Là-bas, on prend un bain : le bain démarré.

Plongée dans l’univers magico-religieux de la Martinique…

Un bain démarré, ça sert à quoi ?

Littéralement, “démarrer”, signifie rompre les amarres pour tracer sa route. L’analogie avec l’univers marin ne s’arrête pas là : le bain démarré est en fait un bain de mer. Je vous arrête tout de suite : ce bain-là n’a pas grand-chose à voir avec les grandes baignades collectives frigorifiantes qui se pratiquent en Europe du Nord. A la Martinique, le 31 décembre et le 1er janvier ne se transforment pas en bain de minuit euphorique généralisé.

Le bain démarré sert à se débarrasser des influences négatives accumulées dans l’année et, pendant qu’on y est, à s’attirer les bonnes grâces du destin. Ce n’est pas une petite affaire. On prend un bain démarré pour conjurer une année calamiteuse placée sous le signe de la déveine et du mauvais œil, ou parce qu’on place de grands espoirs dans l’année à venir (travail, examen, santé, union…). Mais il peut se prendre à d’autres périodes de l’année, pour amorcer une étape importante de sa vie, à des dates symboliques : le premier vendredi treize de l’année, le premier lundi ou le premier vendredi du mois, le premier vendredi 13 de l’année, à la nouvelle lune.

Vous l’aurez compris. Le bain démarré n’est pas une pratique purement sanitaire. C’est un rituel. Pour mettre toutes les chances de son côté, un bain démarré doit se faire dans le secret. Se laver symboliquement des ennuis de l’année écoulée ne vient pas sans une dose de mysticisme voire même d’occultisme parfois… “On ne rigole pas avec ces choses-là”. Et pour beaucoup, ça revient à frayer de trop près avec le malin et à fricoter dans le voisinage du diable : un pas de travers, un ingrédient mal dosé, une consigne mal suivie, on est bon pour une année de pétrin ou pire.

Un bain démarré, comment ça se prépare ?

Je me souviens qu’à l’approche de la fin de l’année, on allait discrètement demander conseil aux aînés : “Cette année, ça n’a pas été très fort. Tu penses que je devrais faire un bain cette année… On m’a dit qu’untel en fera un… Connais-tu quelqu’un qui connaît quelqu’un qui… ?”

Plusieurs recettes de bain démarré circulaient : on se passait les ingrédients et des conseils parfois déformés par le bouche-à-oreille. Les plus déterminés allaient consulter un initié (séancier, quimboiseur ou gadé-zafè). Il ou elle, moyennant finance, vous concoctait une recette personnalisée après avoir diagnostiqué vos ennuis et pris bonne note de vos objectifs pour l’année à venir : amour, gloire, beauté, santé et neutralisation de l’ennemi à l’origine de vos ennuis, quel qu’il soit, humain ou esprit. Les objectifs sont toujours les mêmes, ce qui change, c’est l’ordre dans lequel on les met.

Avec sa liste d’ingrédients, on se rendait à Fort-de-France, souvent Chez Félicité, célèbre boutique de produits ésotériques : Vinaigre des Quatre Voleurs, Eau de Cologne des Princes, encens de Jérusalem… On y trouvait aussi des fioles à la composition inconnue, aux noms évocateurs de réussite et de puissance : Ce que Femme Veut, Maîtresse des Hommes, Trois Rois Mages, Poudre d’Influence, Ça Moin Dit Cé Ça (Ce que J’Ordonne), Pou Aimé Moin (Pour M’Aimer), Essence de Victoire… Si les noms vous donnaient envie de sourire, l’air grave de la vendeuse avait de quoi vous refroidir : ces petits flacons pourraient bien contenir un pouvoir insoupçonné pour le non-initié que vous êtes. D’ailleurs, tous les produits — trop précieux, trop sensibles — n’étaient pas à portée de main du premier venu. On posait sa liste sur le comptoir tandis que les autres clients se tenaient à une distance respectable, ou on chuchotait à la vendeuse qui opinait d’un air concentré et entendu.

Bottles on shelves

Puis on allait chercher du feuillage sur le grand marché de Fort-de-France auprès de marchandes spécialisées ou en pleine nature : raquette, cassia alata, bois moudongue, lavande rouge, douvan-nèg, vétiver, arada, verveine blanche, paroka… Il fallait s’y connaître en matière de “rimèd razyé” (plantes médicinales). En fait, la plupart des bains démarrés consistent en un bain de feuillages, mélange de plantes aux vertus diverses, destinées à purifier, soigner et à fortifier. Ils s’apparentent à de la médecine douce.

Les pacotilleuses (vendeuses ambulantes originaires de Sainte-Lucie, La Barbade, Haïti… ) y allaient aussi de leurs petites fioles de mélanges aussi énigmatiques que colorés, qu’on regardait avec une curiosité mêlée de scepticisme et d’appréhension, surtout s’ils avaient été concoctés à Haïti, mère du Vaudou.

A cela on ajoutait des produits plus communs comme des pétales de roses rouges et blanches, du citron, du rhum, du sel fin, des noix de kola avec toutes sortes d’huiles essentielles, et même du lait et de la farine.

Arrivait la préparation : on mettait à bouillir plantes, feuillages et ingrédients, de préférence dans un mélange d’eau de fontaine, d’eau de pluie, d’eau de source et d’eau de coco. Pour s’assurer d’être du côté du bien, on pouvait même ajouter des médailles de saints, faire 3 signes de croix de l’index de la main droite dans l’eau du bain et lire au-dessus le Notre Père. Véridique

Marché de Fort-de-France

Un bain démarré, comment ça se prend ?

La manière de prendre le bain n’est pas très claire. Doit-on se verser sur le corps, de la tête aux pieds, sa décoction de feuillages avant ou après le bain de mer ? Peut-on le prendre chez soi dans une bassine en métal, à condition d’y avoir mis du sel ? Il y a à peu près autant de manières de faire que de variantes dans la recette. Mais il y a des constantes.

Il faut se placer de préférence à l’embouchure d’une rivière où se mélangent eau douce et eau salée. C’est ce qu’on appelle l’entre deux eaux ou les eaux découpées. On doit se frotter le corps avec une queue de morue — oui, une queue de morue — qui a la vertu de vous débarrasser de la crasse et des mauvaises ondes.

Après le bain, on ne se sèche pas avec une serviette pour ne pas perdre les bénéfices apportés par les plantes. On enfile un vêtement blanc ou de couleurs vives, neuf de préférence.

Les feuillages et queues de morue qui ont servi au rituel se sont chargés des malheurs et du mauvais sort. Pour ne plus avoir à faire à ce fatras de déveines, on balance le tout par-dessus son épaule sans regarder derrière soi et on laisse le courant les emporter au loin. Un autre moyen de s’en défaire, c’était de les enterrer discrètement ou de les déposer à la croisée de deux chemins.

Pour bien faire les choses, on recommande de se laver également intérieurement à l’aide d’une purge. C’est aussi la maison qu’on nettoiera symboliquement avec une préparation spéciale. Purifié au dedans et en dehors.

Un bon conseil : au mois de janvier, à l’approche d’un croisement, regardez bien où vous marchez. L’année commence mal pour vous si vous mettez les pieds dans un paquet d’herbes chargées d’ondes négatives…

Martinique : musée de la banane, la rivière Pierrot
Martinique : baignade à Grand-Rivière

La signification du bain démarré

Aux Antilles, nous croyons à la fatalité et aux puissances invisibles qui déterminent nos vies. Et même quand on affirme “ne pas croire en ces choses-là”, il y aura toujours un petit fond de croyance, comme si ça faisait partie de notre ADN. Un des travers de cet état d’esprit est qu’on aura tendance à penser qu’une accumulation de déboires est due à un mauvais sort et non à un enchaînement de décisions et de situations. Dans ces circonstances, on n’est ni acteur ni responsable de son destin. On le subit : 

Si le bain démarré est assez fastidieux à mettre en œuvre, il a le mérite de vous simplifier les problèmes. Quand on y pense, il est plus compliqué de faire un long travail sur soi, que de s’astreindre à un rituel si fastidieux soit-il. 

Peu de gens vous révéleront qu’ils ont eu une année faste grâce à un bain démarré. S’il ne garantit pas à coup sûr bonheur et réussite, on attend du bain démarré qu’il éloigne les mauvaises ondes et nous rende plus fort. Au moins, on peut attendre du bain démarré qu’il apportera :

Aujourd’hui, le bain démarré a perdu de son aura mystique. C’est même devenu une thématique de sorties collectives et touristiques. Le bain démarré reste un symbole fort. Il porte l’espoir ou la promesse que l’on se fait de renaître en mieux, en s’immergeant dans la mer ou dans une rivière. Quelle que soit la manière de procéder, le bain démarré aura le sens qu’on voudra bien lui donner.

Alors bon bain et bonne année !

Pour en savoir plus

à lire

L’Univers Magico-Religieux Antillais

Auteur : Geneviève Léti

Editions : L’Harmattan

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